Le développement de cette voiture fabriquée en Chine dans une usine dimensionnée pour produire 150 000 autos par an (pour rappel, Lotus en a confectionné environ 8 000 l’année dernière) a été chapeauté par un homme qui connaît bien la maison, puisque cela fait trente-six ans qu’il y officie en qualité de metteur au point.
Gavan Kershaw a été formé par d’anciens collaborateurs de Colin Chapman, qui ont pu lui transmettre l’esprit originel des vraies Lotus. Depuis la reprise en 2017 par le géant Geely, les ambitions ont changé.
Le groupe chinois souhaite produire 100 000 voitures par an à l’horizon 2028. Les équipes se retroussent donc les manches pour atteindre ce chiffre, avec des SUV, des coupés et maintenant une berline de 5,14 m de long et de plus de 2,5 t, en tout électrique.
Endurance dans l’effort
Mais revenons à notre sympathique discussion avec l’ami Gavan, qui nous prévient avant l’essai que nous risquons d’être surpris par les capacités de cette machine high-tech. En tout cas, l’homme semble très satisfait du résultat. Et quand on évoque avec lui l’esprit originel des Lotus, l’homme paraît gêné… mais nous donne rendez-vous après l’essai.
La prise en main concerne la version la plus puissante, la R, qui dispose de 918 ch mais me laisse de marbre. Pas parce que je suis blasé, mais plutôt parce que les véhicules électriques offrent presque tous, même avec des moteurs plus raisonnables, une puissance de feu.
La poussée vaut tout de même le détour, et les 2’’8 annoncées pour le 0 à 100 km/h restent tout à fait plausibles et reproductibles. Il y a encore quelques années, deux démarrages sous procédure de départ suffisaient pour perdre une grande partie des performances promises.
Ici, l’Emeya nous montre le contraire avec une endurance dans l’effort assez remarquable. Pour preuve, nos longues liaisons sur autoroute allemande, en direction du Tyrol autrichien, où la vitesse maxi autolimitée à 256 km/h (on sent bien que la voiture est coupée dans son élan) est validée sur des kilomètres.
L’occasion de jauger la stabilité étonnante de l’Emeya dans les longues courbes rapides, resurfaçant dans le même temps la chaussée d’une qualité très moyenne. Dans ces conditions, on regrettera seulement les bruits de roulement générés par les Pirelli PZero Corsa optionnels développés pour elle (ils disposent de l’inscription « LTS »), qui râpent la chaussée pour ne pas en perdre une miette…
Dans la vie d’un utilisateur de voiture électrique, les arrêts ravitaillement sont partie prenante de l’équation. Lotus a œuvré sur sa berline pour qu’ils soient le plus courts possible. Ainsi, l’Emeya est compatible avec les chargeurs de 350 kW et plus si affinités (400, voire 420 kW sur des chargeurs dimensionnés).
Lors de notre arrêt express sur une borne Ionity, la charge dépassait les 335 kW, un arrêt de quinze minutes permettant de repartir presque avec le plein. Alors, bien sûr, cela restera toujours plus long que de remettre 80 l dans le réservoir d’une Panamera, mais il est honnête de signaler les progrès effectués.
Pour y parvenir, le constructeur a modifié les batteries avec un meilleur refroidissement, maintenant vertical, des cellules, cette technologie contenant les hausses de température en utilisation intensive ou en cas de recharge sur borne ultra-rapide.
Maîtrise
Nous repartons pour une centaine de kilomètres en direction des montagnes. L’occasion de profiter d’un habitacle tiré à quatre épingles, une Porsche Taycan ne faisant pas mieux sur ce point. Le choix des matériaux et des couleurs permet de configurer l’intérieur avec élégance. L’imposante carlingue offre en outre un vaste espace, que ce soit à l’avant ou à l’arrière.
Héritée de l’Eletre, la sonorisation KEF (marque anglaise très haut de gamme), qui fournit deux niveaux de puissance entre 1 380 et 2 160 W, dispose respectivement de 15 ou 23 haut-parleurs. Dans les deux cas, le son émanant de ces œuvres d’art métalliques que sont les enceintes est cristallin.
Rarement une installation nous avait autant impressionnés, l’absence de sonorité moteur y étant probablement pour beaucoup. Les parties sinueuses en approche, on a hâte de voir si Gavan disait vrai au sujet de son Emeya. La première succession de lacets ne laisse planer aucun doute sur les capacités de cette GT, pour rappel très bien chaussée.
Les limites du grip mécanique paraissent insondables sur route ouverte, le poids annoncé de 2 575 kg ne se faisant absolument pas sentir. La direction électromécanique mène un train avant particulièrement mordant, bien aidé par les roues arrière directrices (de série sur l’Emeya R), qui offrent un braquage jusqu’à 3,5°.
Elles contribuent à la dynamique embarquée en liaison permanente avec l’ESP, ce qui permet de gérer en temps réel, par la magie de l’électronique, le sous-virage ou le survirage. Volant en mains, l’Emeya fait une démonstration de force indéniable, à l’image de ce que proposent déjà une Taycan ou une Panamera.
L’amortissement pneumatique piloté (avec barres antiroulis actives) est repris quasi intégralement de l’Eletre – seul le tarage diffère –, livrant un compromis confort-efficacité bien mieux dosé. En parlant de dosage, on regrettera l’excès d’attaque offert par le système carbone-céramique optionnel fourni par AP Racing avec ses étriers 10 pistons. Il faudra une certaine habitude pour gérer au mieux les ralentissements.
Le montage de série en acier avec étriers 6 pistons, proposé par Brembo, paraît déjà bien suffisant et nettement plus confortable dans la circulation. Les consommations électriques s’avèrent moins élevées que lors de l’essai de l’Eletre. Dans ces conditions, la batterie de 98,9 kWh permet un peu plus de 400 km d’autonomie, ce qui restera maigre pour les gros rouleurs.
Alors oui, cette Emeya nous a séduits au cours des 500 km effectués à Munich et dans le Tyrol. Oui, cette voiture offre du plaisir à son conducteur, et l’amortissement assure quelle que soit la qualité des chaussées rencontrées. Oui, cette Lotus s’avère digne de concurrencer les références allemandes.
Mais qu’en est-il des capacités sur circuit de cette auto de plus de 900 ch ? Même si l’on a bien envie de croire l’ami Gavan, qui passe ses journées à faire découvrir l’Evija, l’hypercar électrique de 2 000 ch, on aimerait bien se faire notre propre avis. Un Supertest au Val de Vienne serait l’occasion parfaite de clouer le bec aux réticents, qui sont encore nombreux.
L’avis de notre essayeur Arthur Matal
L’Emeya fait beaucoup mieux que l’Eletre, au centre de gravité plus haut. Le potentiel de la machine électrique est bien absorbé par le châssis réussi et la monte pneumatique optionnelle hautes performances. La copie rendue par Lotus est plus convaincante que la Porsche Taycan, et c’est déjà une victoire pour le petit constructeur qui voit grand. Reste à confirmer ces bonnes prestations sur piste.
Lotus Emeya R : fiche technique
- Moteurs : 2 électriques synchrones à aimants permanents
- Puissance maxi : 918 ch Couple maxi : 985 Nm
- Batterie : lithium-cobalt-manganèse, 98,9 kWh utiles, 102 kWh bruts
- Transmission : intégrale, réducteur 1 rapport AV + 2 AR
- Antipatinage/autobloquant : de série déconnectable /de série
- Poids annoncé : 2 575 kg à vide
- Rapport poids/puissance : 2,8 kg/ch
- L – l – h : 5 139 – 2 005 – 1 464 mm
- Empattement : 3 069 mm
- Pneus AV & AR : 265/40 & 285/40 R 21
- Prix de base : 154 090 €
- Prix des options : 41 140 €
- Bonus : 0 €
- Prix du modèle essayé : 195 230 €
- V. max. : 256 km/h (autolimitée)
- 0 à 100 km/h : 2”8
Découvrez notre essai de la Lotus Emeya R dans le Sport Auto n°751 du 26/07/2024.